Ce soir, j’ai fêté Thanksgiving pour la première fois ! J’étais invitée par une amie d’une amie, membre de l’association protestante Agapé, dans les locaux de l’Armée du Salut, association chrétienne elle aussi. Je vous avoue que je ne le savais pas avant d’y aller, et que j’ai été assez surprise de découvrir, d’abord les affiches collées au mur (« Jésus a dit : je suis la porte »), puis les propos de certains participants, clairement orientés vers leur religion. La soirée était très réussie (maintenant, je suis incollable sur Thanksgiving, et on a mangé comme des rois !) mais m’a aussi inspiré quelques brouillons de réflexion sur les religions et les croyances en général.
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Comme vous le savez sans doute, je suis athée. Mais même forte de cette (non- ?)conviction, je suis tout de même régulièrement amenée à l’interroger, car si j’ai été élevée loin de tout milieu confessionnel (ni éducation religieuse, ni pratiques), on ne peut grandir sans rencontrer des croyants, ou tout simplement s’interroger sur ses propres (non-)croyances. Je vous propose donc d’adopter mon regard, celui d’une jeune fille athée anticléricale et très mal à l’aise vis-à-vis de la religion en général.
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Tout d’abord, je dois avouer que les milieux pratiquants me déconcertent ; comme toute pratique sociale, la religion est le lieu d’un entre-soi, où chacun parle le même langage, avec un vocabulaire bien à soi, et une manière bien particulière d’évoquer ou de concevoir les choses. N’importe qui aura ressenti un jour cette étrange sensation d’intégrer un monde à part, avec ses pratiques et codes sociaux, plus ou moins parallèle avec sa propre trajectoire (je pense que le monde confessionnel n’est qu’un exemple parmi d’autres). Aussi, c’est toujours une surprise de constater à quel point la religion et la foi peuvent être des éléments centraux de l’identité de tant de personnes, tandis je me définis moi-même sans penser un seul instant à la religion.
Ensuite, admettons ensemble qu’observer des croyants d’un œil totalement athée peut être très… drôle (pardon !!). Certains sont admiratifs de ceux qui ont la foi, moi je me classerais tout de suite dans la catégorie des sceptiques. Comment comprendre des déclarations du type « j’ai complètement redécouvert le Seigneur et sa grâce m’a touché » quand pour soi la simple évocation d’une quelconque entité supérieure attentive à tes moindres faits et gestes te fait immédiatement penser à un vieux bonhomme en toge assis sur un nuage ? Cette association d’idée, née d’une éducation athée mais traversée de références chrétiennes et mythologiques, est quasiment impossible à écarter de l’esprit. J’ai beau savoir pertinemment que chaque croyant a sa propre définition de Dieu, et que les chrétiens sont les premiers à te dire que la Bible doit être comprise comme une parabole et non à prendre au pied de la lettre, je dois réprimer un premier mouvement fort honteux pour moi et blessant pour l'autre : le rire.
Car enfin, lorsque l’on est athée, même avec un niveau maximum de respect et de compréhension des croyants, l’on possède un point de vue extrêmement rationnel sur les choses, aussi savoir que « Jésus est notre sauveur » ou que si l’on ne croit pas en Lui on encoure les flammes infernales, ramène spontanément à penser les croyances religieuses comme une vision mythologique sinon archaïque du monde. Sans tomber dans le débat-tarte-à-la-crème « science vs. croyance », je suis intimement convaincue que les religions, du moins les plus dogmatiques, résultent d’une construction sociale à contextualiser et complètement dénuées de fondement. C’est mon avis, et comme un croyant sera toujours « triste » pour toi que tu ne crois pas, je serai toujours « triste » pour le croyant qu’il croie en de telles superstitions. D’où ma difficulté à être réellement tolérante avec les croyants, car même si je sais très bien qu’ils ont le droit de croire, et que mon avis n’a rien de supérieur, je suis persuadée que la foi est écran de fumée.
Là est un autre aspect du débat : suis-je réellement athée ? Car en vrai, je ne suis pas des plus rationalistes : j’ai des croyances qui dépassent le simple domaine du réel ou du tangible, que les religieux qualifieraient sans doute de « spirituelles ». Cependant, je refuse de croire une seconde en un esprit divin, souverain, omniscient et omniprésent, et encore moins de penser que quelqu’un/quelque chose sait mieux que moi ce qui est bon pour moi, et que cette entité tente de me sauver contre mon gré d’un abîme horrible de péchés. Et encore vraiment moins que certains ont pu entendre la parole divine pour la retranscrire en bible avec pour devoir de la diffuser aux quatre coins de la planète. En fait, je serais plus « anti-religion ».
Cette position, je l’admets, est très dure. Mais elle se défend : pourquoi Mohammed aurait-il plus raison que Jésus ou Bouddha ? Pourquoi y a-t-il eu pléthore de prophètes au temps du Christ, et pourquoi n’y en a-t-il plus aujourd'hui ? Comment les Juifs reconnaîtront-ils leur messie ? Qui peut croire un seul instant que, si Dieu existe, Il s’intéresse à des fourmis comme nous ? Car enfin, si j’étais Lui, jamais je ne me préoccuperais un seul instant de pauvres créatures comme nous. Et pourquoi Dieu serait-il Amour ? S’Il est à ce point supérieur, comment pouvons-nous seulement entendre ses propos et mettre des mots humains dessus ? Bref, je ne suis certes ni la dernière ni la première à émettre ce genre de réserves, d’ailleurs inaudibles par les croyants : en effet, le « débat » est absolument impossible car j’ai des arguments rationnels, tandis que les croyants ont un argumentaire spirituel. Autant essayer de communiquer avec un Chinois sans parler le mandarin : personne ne comprend l’autre.
Et c’est la grande critique que je fais à la religion : à partir du moment où l’on choisit une religion (ou que l’on est choisi, je n’ai jamais très bien réussi à comprendre si un croyant choisissait d’avoir la foi ou si elle lui tombait dessus du jour au lendemain), on pense nécessairement que les autres sont dans le tort, sinon cela induirait qu’on ne puisse pas avoir raison, puisqu’il n’existe qu’un seul dieu (bon, du moins dans les grandes religions monothéistes, pour ce que j’en sais). Et j’ai beau savoir que des gens mille fois plus intelligents que moi consacrent leur existence à la théologie, je ne peux me dire : comment peut-on croire que notre religion est LA croyance absolue, la seule à avoir, la seule valable ? Ce dogmatisme, en politique, conduit aux pires conduites ; en religion, c’est la norme. Le prosélytisme en est l’aspect que je déteste le plus. Pour moi, la croyance est du domaine du privé, et la religion est un intermédiaire obsolète, et parfois dangereux (je ne généralise pas, bien que les guerres de religion soient plus qu’une réalité, loin de moi de voir en chaque croyant un dangereux fanatique !).
Pourquoi, lorsque l’on cherche à avoir une réflexion spirituelle, devrait-on immédiatement se tourner vers une religion ? La croyance n’existerait-elle pas en dehors de toute religion ? Est-on obligatoirement obligé de se coltiner tout un passé religieux, empli de saints, de coutumes, d’interdits, de prédications ? Pourquoi ne peut-on pas tout simplement réfléchir et s’interroger, et même croire, sans immédiatement être obligé de choisir une religion ? Pourquoi ne pourrait-on pas s’adresser à un autre croyant comme juste « croyant » et non actuellement à un chrétien catholique ou protestant-évangéliste ou que sais-je encore ? Pourquoi a-t-on besoin de cette catégorisation ?
Ma réponse, embryonnaire et hésitante, serait que l’on a besoin de réponses toutes prêtes, de « prêt-à-penser », de repères ; j’imagine bien sûr que chaque croyant a son propre parcours, et qu’aucun chrétien par exemple ne ressemble à son voisin, mais pour moi ce parcours devrait rester personnel jusqu’au bout, et non rencontrer un jour une pensée… « pensée » pour toi. Pour moi, la religion ne devrait pas avoir le monopole de la spiritualité. (J’avoue, je mets toutes les religions dans le même sac, mais je ne demande qu’à ce que l’on ouvre le débat sur des religions qui ne rempliraient pas les critères que je dénonce ici.) Et de toute façon, tout ce qui a des allures de « bonne parole » me fait fuir en courant, parce que j’estime que ne serait-ce que penser qu’elle puisse exister, c’est nier toute distance critique avec n’importe quelle idée/pensée, qu’elle soit religieuse ou politique. Et si le parcours d’un croyant, c’est de trouver la voie, alors j’y vois déjà un fanatisme (oui, je vais loin). Mais je ne demande qu’à être détrompée, même si on me répond souvent « tu ne crois pas, tu veux des arguments rationnels, mais ce n’est pas possible, car c’est une question de foi »…
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Et pour finir cette petite réflexion, je dirais aussi qu’en tant que féministe j’ai une grosse dent contre la religion en général, qui a participé à l’oppression des femmes (sauf certaines branches protestantes). Alors qu’on ne vienne pas me parler d’Amour quand au nom de croyances on justifie la privation de droits individuels, fondamentaux à mon sens –bien que les religions soient un reflet de leurs temps, et donc pas les seules à remettre en cause dans ce processus… comme une preuve de leur incapacité à se détacher de tout contexte et à ne produire qu’un discours situé et temporel… ?
Sarah*, en pleine croisade d'athéiste convaincue