Des drames se jouent tous les jours, tous les jours nombreux sont ceux qui craignent le réveil, préférant aux réalités amères la douceur somnolente. Qu’il est difficile, non, terrible, d’affronter la vie, ses vérités, son amertume ; qu’il est consternant d’en prévoir les mille turpitudes, affligeant de les attendre en tremblant, pour n’aspirer qu’à retomber inconscient dans l’obscurité caressante.
Mille réveils, mille petites morts ; des râles vite étouffés, pareils à des sanglots camouflés derrière les habitudes routinières. La démarche raide, le regard lointain, la flamme éteinte, le cœur serré, les poumons vides ; les tremblements, le froid, la chute.
Il faudrait être fou pour continuer. Qui peut continuer ? Comment osez-vous continuer ? Qui vous donne le droit d’espérer ? Espérer tromper les statistiques, défrayer la chronique, s’afficher unique, déviant, novateur, révolutionnaire. Se lever, n’est-ce pas assumer le monde, sa noirceur, cautionner les règles impitoyables de l’existence, conforter chacun dans cette pitoyable nécessité de vivre ?
D’amour et d’eau fraîche vie fut faite ; de charbon et de cendre se colorent désormais les matins. Et pourtant, impérieux, venu de nulle part, un élan formidable vous dresse, contredisant les élans fanés du coeur.
Le vent se lève ! ... Il faut tenter de vivre !
----
© Sagan, Valéry